Le regard de nos économistes

L’année 2020 restera dans l’histoire. Baptisée du nom de Grand Confinement en référence à la Grande Dépression des années 1930 ou à la Grande Récession de 2009, la crise de la Covid est exceptionnelle de par sa nature, sa soudaineté et son ampleur, avec une récession mondiale sans précédent qui a déclenché des réponses, budgétaire et monétaire, tout aussi historiques.

                                     
Isabelle Job-Bazille                                                                                              Jean-François Paren
Directrice des Études Économiques groupe Crédit Agricole                                 Responsable global de la recherche marchés Crédit Agricole CIB

Les perspectives d’activité pour 2021 vont étroitement dépendre du scénario sanitaire.

 

L’année 2021 sera marquée par la relance et l’émergence d’un nouveau critère d’investissement.

Tous les pays n’ont pas été égaux face aux chocs sanitaire et économique. Aux États-Unis, le choix de la plupart des États de privilégier l’activité en limitant les contraintes sanitaires ainsi que le plan massif de soutien au revenu des ménages ont permis de remettre l’activité sur les rails et de combler les pertes de production, avec un niveau de PIB en fin d’année inférieur de seulement 2,5% à la normale. En zone euro, le tableau est plus contrasté. Les grandes variations de performances qui apparaissent entre les pays s’expliquent par les arbitrages opérés entre santé et économie, mais aussi par les spécialisations sectorielles et par l’ampleur et l’efficacité des plans d’urgence budgétaire. Fin 2020, le chemin à parcourir pour retrouver les niveaux d’activité pré-crise était encore de 4 % à 5 % en Allemagne et en France, de 6,6 % en Italie et plus de 9 % en Espagne. Dans le monde émergent, le fossé s’est creusé entre l’Asie (hormis le sous-continent indien) qui, grâce à une bonne gestion de la crise sanitaire, a rapidement retrouvé le chemin de la croissance, et les autres zones géographiques qui ont connu des fortunes diverses. Dans tous les cas, les réponses budgétaire et monétaire ont été moins audacieuses que dans les économies avancées. L’Europe de l’Est, arrimée à la zone euro, a connu les mêmes à-coups de croissance tandis que l’Amérique latine a été durement touchée par l’épidémie. La faiblesse persistante des prix du pétrole, couplée à une baisse des volumes exportés décidée dans le cadre des accords OPEP+, a freiné la reprise au Moyen-Orient. L’Afrique, dans son ensemble, a échappé à une catastrophe sanitaire mais a subi de sérieux dégâts économiques et sociaux. Les perspectives d’activité pour 2021 vont étroitement dépendre du scénario sanitaire, une course de vitesse étant à prévoir entre le virus, notamment ses variants plus contagieux, et les vaccins. Au premier semestre, du fait de la contrainte sanitaire persistante, la reprise s’annonce encore modeste mais devrait pouvoir échapper au « stop and go » expérimenté en 2020 grâce à des stratégies de confinement aménagé et surtout au maintien, en vertu du « quoi qu’il en coûte », des mesures budgétaires de soutien. En deuxième partie d’année, le profil de croissance restera incertain. Il dépendra de la vitesse de déploiement des vaccins qui permettra un relâchement plus durable des restrictions sanitaires. Bien que la taille et le calendrier du plan de relance américain soient encore en discussion au Congrès, il est fort probable que l’activité connaisse un net coup d’accélérateur en deuxième partie d’année sur fond de progression de la campagne vaccinale et de rattrapage de la consommation. De quoi recouvrer, avant fin 2021, les niveaux d’activité d’avant-crise. La zone euro, qui accuse du retard sur le front de la vaccination, devra attendre mi-2022 pour espérer tourner la page de la crise. Dans la sphère émergente, l’Asie va continuer à devancer les autres régions, avec une croissance de plus de 7 %, suivie par l’Amérique latine, l’Europe de l’Est et la région Moyen-Orient / Afrique du Nord avec des taux de croissance oscillant entre 3 % et 4 %. Cette crise, qui se révèle être un accélérateur de fragmentations et un amplificateur de fragilités, va laisser des séquelles durables. Cependant, les pays asiatiques, qui peuvent mobiliser une épargne domestique abondante pour investir et innover, auront une capacité de rebond plus importante que d’autres économies émergentes – d’Amérique latine par exemple – ayant des taux d’épargne structurellement faibles. Les marges de manoeuvre monétaire ou budgétaire des États seront un autre facteur différenciant pour financer la relance, en s’appuyant si nécessaire sur le bilan des banques centrales. Les économies avancées, qui émettent dans leur propre monnaie, ont de ce point de vue un avantage là où, dans les pays émergents, la qualité de la signature souveraine fera la différence. En 2020, le choc a été d‘une violence et d’une amplitude inédites pour les marchés mondiaux. Après l’onde de choc Covid-19 de mars-avril, la mise en oeuvre de politiques budgétaires et monétaires proactives et préemptives – le désormais célèbre « quoi qu’il en coûte », lui-même héritier du « whatever it takes » – a permis d’éviter que l’incertitude et la volatilité ne s’installent trop durablement sur les marchés ou ne donnent lieu à une nouvelle crise financière. Ayant « figé » les taux sur des niveaux records tout en inondant le marché de liquidités, les banquiers centraux ont soutenu à la fois l’économie et le marché dans des proportions encore jamais observées sur une période aussi courte : plus de 3 000 milliards de dollars (15% du PIB) pour la Fed et plus de 2 300 milliards d’euros (20% du PIB) pour la BCE. Cet effet stabilisateur en surface cache néanmoins des mouvements de rotation d’actifs très importants. De véritables gouffres de valorisation se sont créés entre, d’un côté, la nouvelle économie (celle du digital, de l’investissement responsable et de la transformation) et, de l’autre, l’ancienne économie désormais appelée à se transformer. Ce changement brutal est passé par des niveaux de flux records, que ce soit sur les marchés souverains ou de la dette privée. Dès fin 2020, après les élections présidentielles américaines et l’annonce des premiers tests cliniques du vaccin Pfizer/BioNTech, les marchés ont anticipé l’impact favorable d’une solution médicale à la crise sanitaire dès 2021, permettant ainsi aux marchés actions de finir au plus haut et aux taux de rester au plus bas. L’année 2021 sera marquée par la relance et l’émergence d’un nouveau critère d’investissement. La nouvelle année a débuté avec un degré d’appétit pour le risque très élevé et des niveaux de valorisation laissant très peu de marge d’erreur alors même que des interrogations subsistent sur la robustesse du scénario vaccinal (production, efficacité, distribution, calendrier…). L’engagement des banques centrales à soutenir l’économie « aussi longtemps que nécessaire », c’est-à-dire non seulement jusqu’à la sortie de crise, mais encore au-delà, jusqu’à ce que les économies aient retrouvé leurs potentiels, a été confirmé par les différentes revues stratégiques de politique monétaire des banques centrales. Cette configuration de marché favorisera la prise de risque et l’intérêt pour les actifs risqués, d’autant plus que les rendements d’actifs (non risqués comme risqués) resteront, de par leur niveau de valorisation, très bas. Ce nouvel environnement poussera les investisseurs à considérer d’autres critères d’investissement. Depuis 2020, le facteur « green » s’est imposé comme un nouveau point cardinal, au même titre que la liquidité, la volatilité et le rendement. 2021 verra sans aucun doute un renforcement de cette dynamique.